Cible 1 : L'enfant-élève
Le premier commentaire qui s’impose lorsqu’on examine les facteurs qui, au cours des dernières années, ont été associés aux enfants pour expliquer leur réussite scolaire (motivation, estime de soi, etc.), c’est la disparition d’à peu près tous les facteurs renvoyant à une condition neurobiologique ou physique (hérédité, conditions de naissance, etc.), à quelque chose d’inné qui marquerait le potentiel de l’élève. Au moment du dépouillement des notices, un seul titre d’un ouvrage américain annonçait une recherche sur le patrimoine génétique et la réussite scolaire mais, vérification faite, l’étude portait sur des élèves du secondaire et il n’a donc pas été conservé dans la liste, bien que l’on ait conservé le mémoire de Ladouceur (2001) sur un thème similaire. Même les travaux plus larges portant sur la condition physique de l’enfant ne semblent plus présenter ce genre de facteur, du moins dans les six dernières années, comme des facteurs de réussite scolaire. Ainsi, tous les facteurs associés à la santé de l’enfant (sommeil, alimentation, exercice), qui, pourtant, ont déjà eu beaucoup d’importance au Québec dans le cadre de certains projets de l’Opération Renouveau (on pense, par exemple, à des projets de relaxation physique, de yoga ou alors de sieste à l’école, etc.), ne semblent plus trouver d’écho dans la littérature sur la réussite scolaire. Dans la recension québécoise, il n’y a, par exemple, aucun travail d’évaluation des mesures Petits-déjeuners à l’école ou Repas du ministre, alors qu’elles ont vraiment pris un énorme essor au cours des dernières années en venant s’ajouter à la collation ou au verre de lait du matin. En fait, des trois articles recensés qui traitent de l’alimentation comme facteur de réussite scolaire, deux parlent des États-Unis (Natale, 2000; Murphy, 2000) et un de l’Afrique, des enfants du Ghana plus précisément (Williams, 1998).
Très peu de textes, également, abordent la question de l’appartenance de l’enfant à un groupe racial minoritaire (Gray-Littel, 1997), par contre, on trouve un bon corpus de discussions sur le sexe. Mais là encore, s’il est parfois traité comme un déterminisme de la réussite dans les matières scolaires (El Hassan, 2001; Davies, 1999; Frempong et Wilm, 1999; Conolly, 1998), plus souvent, et de manière assez originale et de tendance récente, les recherches cherchent plutôt à dépasser les « explications simplistes » (beyond simplistic explanations : Kutnick, 1999), en parlant d’identité sexuée ou de construction identitaire à travers les rapports sociaux de sexe (Conolly, 2001; Renold, 2001; Gagnon, 1998 et 1999; Bouchard, 2000). En fait, la variable sexe se dispute le premier rang comme facteur lié à l’enfant pour expliquer la réussite scolaire avec une autre variable qui pourrait différer selon le sexe (Salomon, 1998) : les relations sociales (Kuitenbrouwer, 2002), les liens avec les pairs (Reynold et McCoy, 1998). L’âge est mentionné deux fois comme facteur de réussite, mais pour des raisons opposées. Pour Krueger (1998), être plus jeune améliore la persistance scolaire : plus on commence en avance sur l’âge requis, plus on sera scolarisé (parce que, lorsqu’on atteindra l’âge minimal pour décrocher, on aura terminé une année scolaire de plus que les autres) alors que, pour Thompson (2001), être plus âgé que les autres dans un groupe-classe permet une plus grande réussite parce que les apprentissages sont facilités. Les deux opinions ne sont pas contradictoires, l’une considérant la réussite en nombre moyen d’années de scolarité atteint et l’autre en vitesse d’apprentissage à un niveau scolaire donné.
Les facteurs psychologiques traditionnellement attribués à l’élève qui réussit : la motivation, l’estime de soi, les attentes, sont présents, dans les écrits des six dernières années, bien que moins populaires au Québec (Viau, 2000) et au Canada (Conolly, 1999) que sur le plan international, où elles demeurent des facteurs centraux (Berker, 1999; Davies, 1998; Edwards, 2000; Juvonen, 1996; Makry Botsari, 1999; Skaalvik, 1999). Cependant, chez les auteurs cités et leurs semblables, ces variables psychologiques ne sont pas présentées comme innées, mais plutôt comme liées au vécu de l’enfant et, plus précisément, à sa capacité d’adaptation (coping). Les stratégies d’adaptation elles-mêmes font partie d’un facteur qui est en plein développement dans la recherche, celui de la compétence, que ce soit celle des connaissances, des manières d’étudier, de la confiance en soi, etc. Il se dégage l’image d’un enfant actif dans son parcours scolaire et au centre de son propre développement, non seulement comme bénéficiaire, mais aussi comme acteur créant des réseaux avec les autres et se créant à travers eux. On ne parle ici cependant que des pairs ou des amis, puisque nous n’avons trouvé aucune recherche considérant comme facteur de réussite la perception de l’enfant de ses parents ou d’autres adultes alors que, comme on le verra dans les cibles 2 (famille) et 3 (classe), on trouve un bon nombre de travaux sur la perception des parents de leurs enfants ou sur celle des enseignants et enseignantes de leurs élèves.
Cette vision de l’importance d’un facteur stratégique, qui se perçoit dans les études sur le réseau de relations de l’enfant, sa manière d’accepter l’échec, son identité comme élève (confiance en ses capacités d’apprendre, par exemple) explique peut-être l’ampleur d’un dernier facteur qui est tout à fait externe à l’enfant et que nous aurions pu placer dans une autre cible : la scolarisation précoce. L’éducation préscolaire comme promesse de réussite scolaire est le facteur le plus étudié au Québec. Il a été placé dans la cible 1, un peu par défaut, puisque le préscolaire ne relève pas de la famille ni de la classe ou de l’école, qu’il précède. Nous l’avions d’abord placé dans la cible 5 (communauté) parce que, avec l’arrivée des centres de la petite enfance, les enfants d’âge préscolaire deviennent sous la responsabilité d’établissements du milieu. Cependant, comme la classification du Projet de travail envisageait des « facteurs concernant des notions éducatives » (p. 13), on pouvait justifier le traitement des programmes de la petite enfance comme un facteur de la cible 1. Son classement dans la cible 1 fait que ce facteur passe au premier rang certainement pour le Québec, et probablement au deuxième ou troisième, pour le Canada et le reste du monde.